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"Un uniforme sous la burka" de Manon Quérouil

La journaliste Manon Quérouil, qui interviendra dans le stage "Construction de l'information : aborder l'immédiat contemporain" proposé au PAF 2011/2012, publie un ouvrage consacré à Jamila Barakzaï, femme et policière dans l’Afghanistan contemporain. Ce livre peut faire l'objet d'un fructueux parcours de lecture dans le cadre de l'objet d'étude de la classe de Seconde.

 

 

Grand reporter spécialisée sur la zone du Moyen-Orient et la condition féminine à travers le monde, Manon Quérouil a rencontré Jamila Barakzaï à l’occasion d’un reportage sur les policières en Afghanistan réalisé pour le mensuel Marie-Claire en juin 2009. La personnalité et l’histoire de cette femme lui ont semblé d’une telle richesse qu’elle a décidé de lui consacrer un livre.

 

 

A l’exception d’une brève postface dans laquelle elle explique les motifs qui l’ont conduite à écrire ce livre, la journaliste s’efface totalement de l’ouvrage qui est entièrement rédigé à la première personne, comme si Jamila Barakzaï l’avait écrit seule. Ce parti-pris rompt avec les habitudes de l’écriture journalistique pour emprunter celles du roman autobiographique. C’est ainsi que le livre s’ouvre, in medias res, sur une scène très forte, dans laquelle la meilleure amie et collègue de Jamila Barakzaï est assassinée, pour épouser ensuite le déroulé classique d’une narration linéaire retraçant la vie de l’héroïne de sa naissance à aujourd’hui. Il s’agit pourtant bien de journalisme puisque Manon Quérouil a écrit à partir de longues heures d’entretien et veille à distiller avec finesse des informations plus générales sur l’histoire de l’Afghanistan ou la situation des femmes. Ce livre relève pleinement du journalisme élevé à la grandeur du reportage qui donne à comprendre le monde en l’incarnant puissamment à travers des destins individuels.

Intervention de l’armée soviétique qui s’enlise dans une longue guerre contre les moudjahidin, guerre civile, arrivée au pouvoir des Talibans, mise en place d’un gouvernement sous contrôle de l’OTAN… Nous avons tous suivi à travers les actualités quotidiennes les terribles ravages infligés à l’Afghanistan, n’en retenant que des images éparses du commandant Massoud ou des statues de Bouddha détruites. Sans mesurer vraiment ce que signifiait ces conflits incessants pour l’individu, pour l’Afghan moyen. La force de cet ouvrage est d’épouser le destin et la sensibilité d’une femme presque ordinaire qui a traversé toutes ces époques, nous donnant ainsi à comprendre, par empathie, la complexité de ce monde si proche et pourtant étranger.

L’histoire de Jamila Barakzaï est marquée par les convulsions de l’Afghanistan. Née dans une grande tribu pachtoune de la région de Kandahar, elle réussit, contre l’avis de sa famille, le concours d’entrée à l’Académie de police et devient modeste "responsable de quartier pour l’encadrement des Jeunesses communistes au sein de la police et de l’armée". La prise du pouvoir des moudjahidin la contraint à renoncer à son travail et à rester cloîtrée dans sa maison jusqu’à ce qu’elle devienne, à la faveur d’une relative accalmie des tensions politiques, gardienne de prison. La guerre civile l’oblige à interrompre à nouveau son activité professionnelle puis à se réfugier au Pakistan pour échapper aux Talibans qui la persécutent ainsi que sa famille. Elle se marie puis retrouve peu à peu ses fonctions de policière avant d’être à nouveau menacée de mort et forcée de se cacher une fois de plus. L’intervention de l’OTAN qui stabilise un peu le pays lui permet de travailler comme formatrice de jeunes policiers mais nous refermons le livre avec l’envie d’avoir de ses nouvelles tant les épreuves traversées - mort de son père sous les bombes, assassinat de sa meilleure amie, torture d’un jeune frère - sont incessantes et terribles. Ce livre invite donc à revisiter, dans un style alerte et limpide, l’histoire complexe de l’Afghanistan du point de vue d’une Afghane ordinaire. Cette dimension seule suffirait à justifier sa lecture. Il prend pourtant une ampleur supplémentaire en abordant le sort des femmes en Afghanistan. Ou plutôt le sort d’une femme dont la vie est déterminée par sa naissance en Afghanistan mais ne saurait se réduire à cela.

Jamila Barakzaï avait normalement un destin tout tracé. Fille en Afghanistan signifie déception des parents ("J’ai quatre enfants et deux filles"…), mariage arrangé, vie de mère de famille vaquant aux tâches ménagères, interdiction de sortir sans être accompagnée par un homme de la famille, infériorité de chaque instant… Manon Quérouil fait ressentir avec force les violences inouïes faites aux femmes. Cependant, en laissant le temps à son héroïne de témoigner, elle introduit de la complexité. Si la mère de Jamila Barakzaï est scandalisée par son entrée à l’école de police, blessée par le fait qu’elle ne trouve pas de mari, son père l’accompagne avec bienveillance. Si elle est victime d’un mariage arrangé avec un vieillard peu séduisant, ce dernier se révèle être tolérant, allant jusqu’à s’occuper des enfants pendant qu’elle travaille. L’intégrisme religieux l’étouffe jusque dans son intimité mais, musulmane pratiquante, elle est attachée plus que tout à ce que ses enfants fassent leurs cinq prières par jour. Cette complexité ne relativise pas le sort fait aux femmes en Afghanistan. Elle le rend encore plus insupportable en l’incarnant par une individualité. Réduire une femme afghane, même en étant animé par de louables sentiments, à une opprimée qui porte la burqa est d’une certaine manière jouer le jeu des intégristes qui réduisent l’individu à son sexe ou à son rang. Jamila Barakzaï, comme chacun-e d’entre nous, doute de sa beauté, s’inquiète de sa sexualité, commet des erreurs de jugement sur sa famille, se montre courageuse et lâche, résolue et pleine de doutes… Jamila Barakzaî est un être humain. La réussite du livre de Manon Quérouil réside dans cette manière de laisser toute la place à l’humain et à sa grandeur fragile.

BARAKZAI Jamila, QUEROUIL Manon, Un uniforme sous la burka.

Editions Michel Lafon, 2010.

Place dans les programmes


BAC PRO. Français. Construction de l’information

BAC PRO. Français. Identité et diversité

CAP. Français. Individualisme et altérité

CAP. Français. Découverte de l’autre et confrontation des valeurs